Intention
Le vertige de la « retraite », je ne l’ai jamais redouté. En mai 2020, j’ai mis fin à une vie professionnelle riche. J’avais déjà envisagé ce moment avec sérénité et enthousiasme. La tête toujours emplie de projets, j’étais confiante que l’ennui ne m’attraperais pas. M’ennuyer de mes anciens collègues et clients, certainement. Mais m’ennuyer de ne savoir quoi faire, pas un instant !
Voyager, peindre, écrire, lire, cuisiner, jouer, errer, ces verbes d’action et bien d’autres animent ma vie.
Voyager, en pays étrangers ou près de chez moi, c’est m’ouvrir à la découverte. Même dans des endroits que je fréquente souvent, il y a toujours quelque chose de nouveau qui se présente, face à moi et en moi. Voir, entendre, sentir, vivre le pays me permet d’accéder à la beauté du monde de multiples façons.
Cela nourrit mon âme, ma créativité, l’artiste en moi.
Je suis artiste. J’ai mis de nombreuses années à oser m’identifier ainsi. Ça me semblait présomptueux. J’ai fait la paix avec cette impression en rejetant le caractère élitiste ou l’obligation de renommée qu’on peut y associer. Qu’est-ce que l’art si ce n’est que d’accéder à sa sensibilité ? Par la peinture, ou par tout autre moyen d’exprimer ma créativité, j’essaie de reproduire un état particulier de sensibilité.
Sans vouloir me prendre trop au sérieux, cela vient avec une certaine responsabilité. Avoir l’intention de susciter un sentiment, n’est pas nécessairement gage de succès. Comme dans bien des choses, l’intention doit être couvée d’attention pour qu’elle puisse se réaliser.
Par exemple, je suis attentive dans mes activités de vagabondage en nature : je vis ici, dans le moment présent. Je reste aussi attentive aux souvenirs que j’en conserve et aux photos me servant de références. Tout cela forme mon socle. Ensuite, je dois être attentive à la représentation que je veux en faire et aux moyens de la réaliser.
C’est là que la technique entre en jeu. Comme dans le sport, maitriser la technique est essentiel pour atteindre une performance de qualité. Elle doit être bien intégrée et maîtrisée pour que l’exécution vienne naturellement, comme si c’était exécuté sans effort. Avoir un bon coach et un bon programme d’entraînement permet de peaufiner la technique et de développer la mémoire musculaire et neurologique. Ce n’est pas différent en art.
Attention
J’ai glané toutes sortes de techniques en lisant des livres spécialisés et en visionnant des démonstrations d’artistes sur le web. Tous ne sont pas d’égale valeur. Malgré tout, cela a contribué à ma courbe d’apprentissage. Pour moi, le point tournant a été la découverte d’un peintre canadien, installé à Los Angeles, Ian Roberts. En 2021, j’attendais avec impatience les vidéos qu’il versait sur YouTube chaque mardi. Par une belle coïncidence, cela arrivait à point dans mon cheminement. Excellent pédagogue, ses explications et ses démonstrations étaient brèves, claires et simples. Je l’ai adopté comme coach virtuel.
Des coïncidences, on en rencontre plusieurs fois dans une vie.
L’important est de les remarquer
et de saisir les occasions qu’elles nous présentent.
À l’automne de la même année, Ian Roberts annonçait le lancement d’une formation par visioconférence sur la maîtrise de la composition (Mastering Composition), débutant à l’hiver 2022. Je n’ai pas hésité longtemps. L’occasion d’obtenir une formation plus formelle m’enthousiasmait. Aussi, la formule virtuelle était parfaitement adaptée aux circonstances de la pandémie mondiale.
J’ai appris comment utiliser le dessin pour bien planifier la composition de mes tableaux. L’approche qu’il enseigne n’a rien à voir avec les techniques de dessin académiques. L’objectif est de tester et d’ajuster la composition afin d’identifier et de corriger les problèmes avant de peindre. Pendant plusieurs semaines, je me suis exercée à utiliser des traits simples et soignés pour bien établir la place de chaque élément dans l’espace, bien définir les zones d’ombre et de lumière et bien planifier le mouvement du regard à l’intérieur du cadre. J’ai été étonnée de constater mon évolution en seulement huit semaines. Voyez la différence entre les deux dessins ci-dessous, réalisés avant et après la formation.
Par la suite, j’ai suivi deux autres formations sur les techniques de travail au pinceau et sur la couleur.
Réalisation
Durant une pause après mes leçons de dessins, j’ai commencé à considérer de nouvelles façons de travailler pour combattre ma tendance à tomber dans le menu détail. Je me disais, le cerveau humain est capable d’interpréter une image même si certains éléments ne sont que suggérés... les peintres impressionnistes l’ont bien démontré.
Un matin, j’ai ouvert ma tablette sur ma photo de référence et j’ai collé au mur une étude réalisée dans mon cours de dessin. J’ai posé une toile vierge sur mon chevalet et j’ai sorti un seul pinceau, une langue de chat numéro 4. Je me suis interdit de toucher à mes petits pinceaux de détails (numéros 1 à 000 !) et je me suis accordée 4 heures pour exécuter mon projet (le dixième du temps que j’avais mis pour réaliser « Le Pont du Lac Monroe », à titre d’exemple).
Ce défi, je l'ai mis au profit d'une scène captée l'été précédent dans le Parc national du Bic, sur le chemin du camping menant à la Baie des Cochons. À l’échéance des 4 heures, la toile était couverte et le tableau presqu’achevé. Je me suis arrêtée pour me donner le temps de réfléchir à ce qu’il me restait à faire pour le terminer, en respectant ma propre consigne d’éviter les détails superflus. Le lendemain, en 90 minutes, j’avais complété l’exercice.
Ce fut une expérience révélatrice.
Je ne prétends pas m’être débarrassée de ma manie du détail. J’y suis encore tentée, mais je crois le faire avec plus de parcimonie.
Pour continuer ma progression dans cette veine (intention), en abordant mes projets, je me concentre (attention) sur les formes, pas sur des éléments concrets comme un arbre, un buisson ou une pierre. Pour me faciliter la tâche, je prends du recul face à ma photo de référence. Les yeux plissés, ou sans mes lunettes (je suis myope), les grandes masses et les zones d’ombre et de lumière se révèlent simplement.
C’est un excellent moyen de museler le cerveau gauche rationnel
et de laisser s’exprimer le cerveau droit conceptuel.
Cette façon de travailler est particulièrement importante, pour moi, lorsque j’applique la première couche de peinture (réalisation). Une fois les grandes masses identifiées (ligne d’arbres, cours d’eau, sentier, etc.) je peux commencer à définir les parties à l’ombre et à la lumière, en précisant les couleurs et les nuances tonales chaudes et froides. En ces deux étapes, la majorité du travail est accompli. Ensuite, je peux suggérer juste assez de détails pour bien informer l’œil du spectateur et l’inviter dans l’illusion.
Ainsi, en complétant le tableau La route du parc (2023), il est facile de constater que plus de détails ne sont pas nécessaires dans le feuillage pour distinguer les arbres les uns des autres, ni sur le chemin de gravier, où j’aurais sans doute tenté de définir davantage le gravillon, il n’y a pas si longtemps.
Bonsoir Lise,
Je viens de te lire et de suivre ta démarche...
Quel beau parcours, mais aussi je te félicite de t'écouter et de suivre tes élans à partir de tes observations de la nature jusqu'aux traces du pinceau sur la toile.
Un très beau texte, très inspirant...
Amitiés,
Élie