D’où vient la créativité ?
C’est une grande question pour une artiste. Cette source mystérieuse existe en chacun de nous. Encore faut-il savoir la trouver et la saisir. Pour moi, elle se présente bien avant de prendre un crayon pour esquisser une composition ou de sortir mes pinceaux.
J’ai un don particulier pour l’émerveillement!
En marchant dans une sapinière, à vélo par monts et vallées, ou en pagayant sur une rivière, je suis constamment éblouie par la beauté de ce qui m’entoure. Je me laisse émouvoir tant par les plus petites formes de vie que par les paysages grandioses. Alors, je m’arrête un moment pour contempler ce qui capte mon attention : un champignon poussant parmi la mousse et le lichen, des quatre-temps pourprés par le gel, des champs balayés par le vent, la pluie qui bleuit les montagnes au bout du lac, un grand pin s’élevant en gardien de sa forêt. Mon âme est interpellée dans ces moments magiques où un son, une odeur, une sensation, une vue, ou tout cela en même temps, me font sentir si heureuse de vivre.
Durant mes aventures en plein air, mon appareil photo n’est jamais très loin.
Ainsi, je me constitue une banque de souvenirs numériques qui s’ajoutent à ceux que je conserve à l’esprit et avec lesquels je renoue plus tard dans mon atelier. Le temps venu, je cherche une image qui m’inspire. Le choix fait, je ressens les papillons du trac dans mon ventre. Est-ce que je réussirai à sublimer ou du moins à honorer ce souvenir?
Pour apaiser mon trouble et faire murir mes idées d’interprétation, je prépare soigneusement mon projet. Avec un vieux pinceau, je dilue un peu de peinture dans du solvant. D’une gestuelle soignée, j’applique à la toile la teinte chaude ou froide, selon l’humeur que je souhaite transmettre. L’exercice est apaisant et la coloration est utile pour évaluer les nuances tonales au moment de peindre.
Je laisse la toile sécher et je prends ce temps d’attente pour préciser mon intention artistique. Je teste différentes compositions. Je quadrille celle de mon choix et trace une grille de même ratio sur la toile.
Je suis maintenant prête à reproduire l’essentiel de l’image en simplifiant les grandes formes et la façon dont elles occupent l’espace.
À ce moment, les papillons se reforment dans mon estomac.
Le dessin sera-t-il réussi ? La composition fonctionnera-t-elle ?
De la vision à la réalisation
Lorsque je suis satisfaite, que les traits de mon esquisse correspondent aux lignes directrices de ma vision, je commence à peindre des masses de couleurs en marquant les zones d’ombre et de lumière. Je porte attention à la manière dont elles interagissent côte à côte et dans l’ensemble du tableau. À cette étape, je ne me préoccupe pas trop de l’exactitude de la couleur.
Ce qui m’importe c’est de bien distinguer les formes dans l’espace,
tout en prenant soin de bien cerner le « centre d’attention ».
Pour cela, je dois planifier le mouvement des yeux qui parcourront le tableau. L’itinéraire prévu pour engager le regard doit être clair et subtil à la fois. Cela ne peut pas être laissé au hasard ou décidé au dernier instant ; sinon cela pourrait compromettre le sens de ma vision ou l’essence de ce que je tente de communiquer et de faire ressentir.
Mon ambition n’est pas de reproduire l’image de référence avec exactitude.
J’aspire plutôt à inviter la personne qui regarde l’œuvre dans son atmosphère,
de s’abandonner à l’expérience et idéalement de s’en émouvoir.
L’atteinte de cet objectif n’est jamais assurée ! Néanmoins, je m’y investis avec autant d’assurance que possible.
Quelques fois, je réussis, ce qui m’encourage à poursuivre. Quelques fois, c’est complètement raté et j’essaie d’en tirer des leçons : Qu’est-ce qui fonctionne ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Dans les deux cas, pourquoi ? À quel moment ai-je dérapé ? Comment aurais-je pu m’y prendre différemment ?
Reconnaître le problème, c’est déjà la moitié de la solution trouvée. Et, à cette étape préliminaire, il est encore facile d’apporter des ajustements.
Tout se joue dans les nuances et les contrastes
Lorsque je suis satisfaite d’avoir bien établi les grandes formes, il est temps de commencer à préciser les couleurs, leur tonalité, leur degré d’intensité. Je m’efforce de ne pas créer de distractions qui nuiraient à la fluidité du mouvement des yeux. Des touches de couleur trop ou pas assez saturées, trop foncées ou trop pâles, le sens de l’espace confondu ou perdu, un élément qui attire l’œil là où je ne le souhaite pas, sont autant d’obstacles que je m’efforce d’éviter.
Je m’efforce de ne pas créer de distractions
qui nuiraient à la fluidité du mouvement des yeux.
À cet état d’avancement, je ne suis plus dans les préliminaires quoi qu’encore loin du travail final.
Je commence habituellement à développer l’arrière-plan, c’est-à-dire la partie la plus éloignée du paysage, ce qui inclus le ciel et la ligne d’horizon et je descends progressivement vers le milieu, puis l’avant-plan. Ainsi, il m’est plus facile d’établir la position de chaque élément dans l’espace, pour donner l’impression de volume. La toile n’a que deux dimensions. C’est par un jeu d’abstraction (même en peinture figurative) qu’on arrive à donner l’illusion d’une troisième dimension.
Devant mon chevalet, j’avance et je recule constamment, pour évaluer l’effet, et apporter des ajustements si nécessaire. Totalement absorbée dans cet exercice, mon stress se dissipe, je sais où je vais, guidée par ma vision.
Alors, je perds la notion du temps. Je suis dans la « zone ».
Je reste tout de même aux aguets. Par mégarde, je pourrais prendre un mauvais virage. Si je suis fatiguée ou distraite, je peux perdre ma route et sentir l’angoisse remonter. Lorsque les circonstances ne sont pas propices à retrouver ma voie et ma quiétude, je préfère m’arrêter le temps d’une courte pause ou reprendre un autre jour.
Y mettre le temps qu'il faut
Je n’ai pas d’horaire prédéfini, je m’adapte aux circonstances. Je suis plus créative et efficace le matin, mon esprit est clair et délesté de charges inutiles. Cela dit, j’ai un tempérament actif. L’été, je préfère sortir à vélo le matin quand l’air est plus frais. L’hiver, je profite des pistes de ski alpin et de ski de fond fraîchement damées. Quoi qu’il en soit, la plupart du temps, je m’installe à l’atelier pour des séances de deux à quatre heures, plusieurs jours par semaine. Ça fait partie de mon hygiène de vie.
Il m’importe d’être totalement disponible au travail
dans lequel je me suis engagée.
Si la nuit n’a pas été assez revitalisante, si mes activités ont puisé trop de mon énergie physique ou mentale, je mets ma créativité à d’autres usages. Je la nourrie en lisant, en étudiant le travail d’autres artistes, en cuisinant, en passant de bons moments en famille et avec des amis… ou simplement en me reposant !
Il faut savoir s’écouter. Il ne s’agit pas de trouver des subterfuges pour éviter le syndrome de la « toile blanche ». Il m’importe d’être totalement disponible au travail dans lequel je me suis engagée. Par exemple, je sais que mon niveau d’énergie faiblit lorsque je me mets à trop fignoler. Alors, je prends une pause. Si je m’obstine à poursuivre ce que j’ai commencé, je risque de m’enliser. Vaut mieux y revenir à tête reposée.
La solution au défi rencontré viendra en prenant un peu de distance du tableau
et en laissant le temps prendre son temps.
Après une pause, mon regard est rafraîchi et je vois tout de suite ce qui doit être amélioré. J’y accorde aussitôt mon attention pour que cela ne revienne pas me hanter plus tard ou pire, trop tard. Il peut m’arriver de me sentir impuissante devant un problème que je n’arrive pas à résoudre, même après m’en être distancée. Dans ce cas, soit je laisse le tableau en plan et en tire une leçon qui me sera utile plus tard. Soit « j’efface » la partie qui me donne du fil à retordre et je tente de la reprendre différemment.
Le plus difficile, c’est de savoir m’arrêter à temps. Le travail de finition n’en est pas un de précision. Dans le cas de ce tableau, j’ai évité ce piège juste à temps!
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