Pourquoi peindre un autoportrait ? Il y a plusieurs raisons de le faire et c’est rarement par vanité.
D’abord, il y a un aspect pratique à cet exercice. L’artiste est son modèle le plus aisément disponible. Aussi, ce type de travail offre une liberté que la création d’un portait d’autrui ne permet pas. Le but de ce portait étant, la plupart du temps, de représenter cette personne avec ses meilleurs attributs.
L’autoportrait permet donc d’expérimenter différentes techniques et expressions sans restriction. Pour plusieurs, c’est une occasion de se laisser aller dans une certaine introspection pour documenter leur apparence physique et leur état émotif, dans un lieu et à un moment précis.
Rembrandt a peint des dizaines d’autoportraits documentant ainsi différentes étapes de sa vie. Ces tableaux sont un reflet de l’évolution de sa condition profondément humaine. Il avait un talent exceptionnel pour évoquer son état physique et, surtout, pour explorer son identité et ses sentiments. Dans ses premiers tableaux, il se dépeint comme un jeune homme aux cheveux ébouriffés. En prenant de l’expérience, il se présente comme un artiste au statut social élevé et vers la fin de sa vie comme un vieillard usé par les deuils et les revers financiers. Dans chacun de ses tableaux, on peut apprécier sa recherche des effets de la lumière et l’évolution de sa technique clair-obscur.
Vincent van Gogh s’est représenté dans une quarantaine d’œuvres, expérimentant avec différents styles, techniques et couleurs. Celles le montrant avec l’oreille bandée sont bien connues. Néanmoins, l’une des plus percutantes a été peinte quelques mois avant son suicide, vers 1889-1890. Tourmenté par ses crises de folie, il se représente comme un homme torturé sous des traits creux et un regard stoïque.
Pablo Picasso, toujours en quête d’innovation, s’est peint dans les styles variés ayant marqué son évolution artistique. Il a réalisé son premier autoportrait à l’huile à l’âge de vingt ans, à Paris. Ses traits creusés attestent de sa dure vie de bohème à cette époque. Dans un autre, peint à 25 ans, on voit qu’il commence à forger un nouveau vocabulaire visuel en utilisant des masses de couleurs simplifiées. En 1929, il introduit son profil lisse derrière une tête abstraite au sourire denté effrayant. Il juxtapose le calme et la violence, une dualité reflétant son état d’esprit à ce moment.
Emily Carr, artiste canadienne réputée, n’a peint que quelques autoportraits. Elle s’y représente dans des poses au regard direct et déterminé témoignant de sa force de caractère.
Dans un autoportrait datant de 1919, F.H. Varley (peintre canadien et membre fondateur du Groupe des Sept) confronte le spectateur d’un air agressif, les lèvres pincées, les sourcils froncés et le regard pénétrant. Le cadrage serré et les grands traits de pinceaux accentuent l’aspect massif et imposant de sa stature. Il utilise la technique du clair-obscur pour étaler ses luttes intérieures, lui qui cherchait à trouver l’équilibre entre son esprit imaginatif agité et les exigences terre-à-terre du quotidien.
Le défi
L’idée de produire un autoportrait ne me serait jamais venue par moi-même. Je suis davantage inspirée par l’atmosphère et les couleurs de la nature autour de moi. Le portrait est un genre qui m’intimide beaucoup. Je me suis lancée dans cet exercice en réponse à un défi lancé à la communauté virtuelle de peintres dont je suis membre depuis 2022. Pour apprivoiser l’idée, je me suis d’abord exercée au dessin. Il m’a fallu quelques tentatives avant d’atteindre une certaine ressemblance.
En abordant ce projet, dans lequel je me suis lancée craintivement, je ne cherchais pas à exposer mes sentiments les plus profonds ! J’aspirais à développer les aptitudes techniques essentielles à l’atteinte d’un portrait assez réaliste. Ce faisant, je m’efforçais d’aiguiser mon sens de l’observation pour voir les formes en faisant abstraction de chaque partie spécifique de l’anatomie. Par exemple, je n'ai pas peint pas un nez, j'ai tracé un trait selon la teinte et la forme que j’ai observées.
Ma démarche
Le défi étant déjà assez important, je ne voulais pas peindre mon reflet dans un miroir. Pour référence, j’ai donc utilisé une photo prise par mon mari lors d’un voyage à l'Île-du-Prince-Édouard. Sur un panneau entoilé, préalablement recouvert d’une teinte de terre de Sienne diluée, je me suis appliquée à reproduire au crayon les principaux traits de ma physionomie, en portant attention aux proportions pour atteindre un minimum de réalisme.
On me demande régulièrement pourquoi j’applique une fine couche de couleur sur la toile avant de m’attaquer à mon sujet. Cette pratique prévient l’apparition de petits points blancs aux endroits où la peinture n’aurait pas couvert toute la surface. Surtout, cela me permet d’atténuer le contraste de la couleur contre le blanc de la toile pour mieux évaluer les nuances de tonalités recherchées.
J’ai commencé par peindre les contours de mon visage et de mon corps, c’est-à-dire l’arrière-plan, en appliquant les tons les plus foncés d’abord. J’ai procédé de la même manière avec les vêtements, en allant du plus foncé au plus pâle. Ainsi, il est plus facile de calibrer les teintes de la peau par rapport à l’environnement. Et, je l’avoue, je « tournais autour du pot », hésitant à aborder le vif du sujet !
Premières applications pour définir l’arrière-plan et les vêtements
À cette étape, je ne pouvais plus y échapper, il fallait bien commencer à travailler les traits qui me sont caractéristiques ! J’ai utilisé la même approche graduelle pour peindre la peau, en commençant par la main pour trouver les teintes appropriées. Satisfaite des tonalités, j’ai appliqué le fond de teint au visage avant de travailler les courbes et les creux, un peu plus foncés par ici, un peu plus pâles par là. Si le coup de pinceau débordait un peu sur la forme des accessoires ou des vêtements, je ne m’en préoccupais pas. Ce serait facile à corriger avant d’apposer ma signature.
Application graduelle des teintes de peau
La toile étant maintenant couverte, je l'ai mise de côté pour la revoir d’un œil frais plus tard. La teinte de la peau n’était pas à mon goût, ça manquait de chaleur. J'ai donc bronzé légèrement le teint de mon visage. J’hésitais encore quant à la couleur de l’écharpe autour du cou. J'ai choisi des tons de jaune pour ajouter un peu de lumière à l’ensemble de l’œuvre.
Le résultat final n’est pas parfait, mais pour une première expérience avec l’autoportrait, je suis satisfaite. L’ensemble est crédible. Je suis dans mon élément, en plein air, profitant des paysages qui m’entourent, appareil photo en main, comme toujours.
Très intéressant, merci du partage!